Pédopornographie

Code pénal: modifications aux articles définissant la pédopornographie et la corruption de mineur

Parmi les dispositions assez nombreuses de la loi n°2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, un certain nombre concernent la protection des mineurs et la transposition de la directive 2011/93/UE [nota: oui il y a une divergence de numérotation de ce texte] du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil.

Ainsi, l’article 227-23 du code pénal décrivant l’interdiction de la pédopornographie et les infractions associées devient (en gras les modifications):

Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Lorsque l’image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans [remarque: en langage juridique, désigne les personnes de moins de quinze ans], ces faits sont punis même s’ils n’ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation.

Le fait d’offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l’importer ou de l’exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsqu’il a été utilisé, pour la diffusion de l’image ou de la représentation du mineur à destination d’un public non déterminé, un réseau de communications électroniques.

La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines. [déplacé plus bas en fait, donc concerne deux alinéas supplémentaires]

Le fait de consulter habituellement ou en contrepartie d’un paiement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, d’acquérir ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Les infractions prévues au présent article sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises en bande organisée.

La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur, sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de son image.

La définition de la corruption d’un mineur est aussi aménagée, article 227-22 du code pénal:

Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le mineur lorsque le mineur est âgé de moins de quinze ans ou [voir plus bas] a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ou que les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux.

Les mêmes peines sont notamment applicables au fait, commis par un majeur, d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ou d’assister en connaissance de cause à de telles réunions.

Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou à l’encontre d’un mineur de quinze ans.

Suite à des échanges sur cette question sur twitter: il est rappelé que l’interdiction des représentations (y compris donc les dessins, les simulations par ordinateurs, etc.) de mineurs à caractère pornographique date de 1998 et que la simple détention de tels documents est punie explicitement depuis 2002. Aucune modification de fond n’est donc apportée sur cette question par ce nouveau texte, contrairement à ce qu’affirme Numerama. Il s’agit ici d’une aggravation des peines possibles, suite à la directive européenne.

Dénoncer les atteintes aux mineurs sur Internet

Un des points de départ de la réflexion sur cet article, est la question de savoir s’il faut réagir aux actions de certaines personnes se réclamant des Anonymous et qui montent différentes opérations contre des sites pédophiles, propédophiles, diffusant des images ou des discussions en rapport avec ces sujets (voir l’article du Monde.fr).

Que se passe-t-il? Des personnes publient des listes de noms, d’adresses électroniques, voire d’adresses postales qui auraient été retrouvées sur différents espaces de discussion, ou d’échanges en rapport avec les atteintes aux mineurs. Par ailleurs, ils s’en prennent à certains de ces sites pour en empêcher le fonctionnement, voire à certains hébergeurs. Enfin, l’information est relayée dans la presse est l’une des questions qui se pose est de savoir s’il peut y avoir des suites judiciaires. Les personnes qui critiquent ces actions se voient parfois reprocher d’être favorables aux pédophiles.

Pour l’instant, il semblerait que sont essentiellement concernés des personnes résidant en Belgique ou aux Pays-Bas.

Beaucoup de problèmes sont soulevés par ces actions:

  • ceux qui les réalisent commettent différentes infractions et ils pourraient être mis en cause ;
  • de façon générale, il n’est pas du rôle du public de mener des enquêtes, mais celui des autorités judiciaires, dans le cadre prévu par la loi qui préserve les droits des individus et la présomption d’innocence ;
  • au passage, des personnes totalement innocentes peuvent voir leur identité mise en relation avec des infractions qu’ils n’ont pas commises, qu’il s’agisse d’erreurs d’appréciation, d’absence de preuves, de pseudonymes ou d’homonymes ;
  • il n’est pas certain que cela puisse permettre des enquêtes judiciaires, selon les circonstances et selon les pays ;
  • des enquêtes judiciaires en cours pourraient être compromises, notamment s’agissant d’opérations visant à infiltrer ce type de plateformes.

Sur Twitter aussi

Ce qu’il ne faut pas faire sur Twiter

Une autre série de débats est née de multiples « retweets » ces derniers jours appelant à signaler des comptes Twitter soupçonnés soit très clairement de diffuser des images à caractère pédopornographique, soit d’être favorables à la pédophilie. On pourra notamment lire l’article du Figaro à ce sujet et un article de blog cité par cet article (blog de Paul da Silva).

Que font les services d’enquête et la justice ?

L’action dans ce domaine est quotidienne et résolue, en Europe et plus particulièrement en France. La législation française est particulièrement claire, réprimant tout aussi bien la pédopornographie que les propositions sexuelles à des mineurs de moins de quinze ans. La pédopornographie est toute représentation pornographique mettant en scène des mineurs (c’est-à-dire des personnes de moins de 18 ans). Sont interdites la fabrication de ces documents (images ou vidéos notamment), leur diffusion ou encore leur détention ou leur consultation habituelle. Plusieurs dizaines d’enquêteurs de la police et de la gendarmerie ont été formés en France depuis le vote de la loi sur la prévention de la délinquance en 2007 aux investigations sous pseudonyme qui permettent notamment de mener des enquêtes dans des espaces de discussion destinés à préparer ou réaliser de telles infractions contre des mineurs.

L’action judiciaire se déroule la plupart du temps avec une certaine discrétion pour préserver les droits de l’ensemble des parties, qu’il s’agisse des victimes ou des mis en cause. Certaines affaires sont médiatisées pour sensibiliser le public sur cette action et contribuer à la prévention de tels faits, ou parce qu’elles se sont déroulées sous le regard du public. Au passage, contrairement à ce qui a pu être écrit dans la presse récemment, ce n’est certainement pas la semaine dernière « la première fois » qu’un compte Twitter a été fermé pour diffusion de contenus pédopornographiques.

Que peut faire le public contre les atteintes aux mineurs sur Internet ?

Il est important de se tenir informé sur les risques, notamment si l’on est parent ou que l’on s’occupe d’enfants. Il est important dans ce contexte de maintenir un dialogue avec les enfants sur leur pratique de l’Internet et selon leur âge de contrôler éventuellement cet usage (par exemple avec l’aide d’un logiciel de contrôle parental, mais ce ne sera jamais suffisant).

Si on découvre des faits qui semblent relever d’infractions de cette nature, la seule bonne solution est de les signaler aux services chargés d’enquêter sur ces faits. En France, la plateforme de signalement conjointe à la police et à la gendarmerie est hébergée par l’OCLCTIC et joignable à l’adresse: https://www.internet-signalement.gouv.fr/. En Belgique, l’adresse est https://www.ecops.be/. Une vérification systématique est réalisée sur les signalements transmis à cette équipe et si une enquête est justifiée elle sera rapidement confiée à un service spécialisé. D’autres canaux existent pour la dénonciation de contenus illicites de ce type, notamment le Point de contact de l’AFA en France (et le lien présent obligatoirement depuis la page d’accueil de tout FAI ou hébergeur en France), ou encore le réseau INHOPE.

Il ne faut surtout pas rediffuser l’adresse de ces contenus (qu’il s’agisse de l’adresse d’un site Web ou le pseudonyme d’un compte Twitter) à d’autres en appelant à les « dénoncer en masse ». D’abord c’est contre-productif, parce que l’objectif est justement que ce type de contenu ne puisse être visible et qu’une seule dénonciation suffit à ce qu’un contenu soit évalué, notamment sur les plateformes de signalement officielles. Ensuite, on risque de soi-même commettre une infraction : pour diffamation si la situation a été mal évaluée (on retweete souvent ce type de message sans vérifier, ce qui semble normal) ou bien a contrario si l’on facilite la diffusion du contenu illégal (ne pas oublier que Twitter est un média mondial et qu’on est en principe lu et lisible par tout le monde).

Rajoutons que sur Twitter en particulier (voir la page d’information), comme sur Facebook (pages d’aide), on peut directement signaler un contenu préjudiciable par différentes fonctions (Lien « Signaler ce contenu » à côté d’une vidéo ou d’une image sur Twitter, ou lien « Signaler » dans le menu déroulant de chaque contenu sur Facebook).

Si un enfant est manifestement en danger immédiat, il faut prévenir rapidement des services capables de traiter urgemment la situation, par exemple en composant le 17 ou le 112 en France ou encore le 119 Allo Enfance en Danger (le 119 est joignable 24h/24 et 7 jours sur 7). Voir sur Wikipédia la liste des numéros d’urgence selon votre pays.

Enfin, si l’on souhaite s’investir durablement, différentes associations contribuent en France et ailleurs à la lutte contre les atteintes aux mineurs sur Internet. On peut citer sans ordre de préférence la Fondation pour l’EnfanceAction Innocence ou encore e-Enfance, et il y en a d’autres abordant ces questions sous différents angles.

Que dire des Infiltrés (France 2) ?

Site Web de l'émission Les Infiltrés (France 2)

L’émission diffusée par France 2 cette semaine (mardi 6 avril 2010 en deuxième partie de soirée) est visionnable sur le site Internet de l’émission. Tout un débat s’est développé, avant et depuis la diffusion pour critiquer l’action des journalistes qui ont signalé les faits découverts au cours du reportage à des services d’enquête. Ce débat – que je me garderai bien de trancher – ne doit pas occulter le fond du problème.

Cette émission montre d’abord, s’il était nécessaire, que le phénomène des rencontres entre des prédateurs et des enfants sur Internet est loin d’être une fiction et qu’il est nécessaire de développer une réponse adaptée. J’ai développé à plusieurs reprises l’action de nos enquêteurs dans le cadre des cyberpatrouilles, rendues possible depuis un an maintenant. Et cela confirme donc qu’il faut continuer de développer ces dispositifs et former de nouveaux cyberpatrouilleurs.

C’est aussi une sensibilisation intéressante pour les parents, qui doit les inciter – non pas à leur interdire d’aller sur Internet – mais à parler de ces sujets avec leurs adolescents, maintenir le dialogue, les prévenir de ces risques, s’intéresser à leurs activités en adaptant les contraintes à l’âge de son enfant (notamment ne pas laisser les plus jeunes seuls sur Internet). Plusieurs associations diffusent des conseils utiles (Action Innocence, e-Enfance) ou le site Internet Sans Crainte.

Enfin, un sujet est particulièrement préoccupant parmi ceux qui sont dénoncés dans le reportage : le sérieux des entreprises qui gèrent des chats et autres sites dédiés aux plus jeunes. Parmi les problématiques évoquées :

  • la publicité non adaptée au public, dès la page d’accueil ;
  • plus grave, l’absence de modération sérieuse.

Je me contenterais de citer la recommandation pour la création d’une marque de confiance des fournisseurs d’accès à Internet et de services en ligne, à laquelle nous avions contribué sous l’égide du Forum des droits sur l’Internet (extraits de la recommandation) :

1.3 Le prestataire ne diffuse pas, dans les pages qu’il édite sauf dans les espaces réservés aux adultes, des publicités faisant la promotion de contenus violents, pornographiques ou attentatoires à la dignité humaine.

1.4 Le prestataire ne diffuse pas, sur les services et les contenus manifestement destinés aux mineurs qu’il édite, de publicités faisant la promotion de certains biens ou services inappropriés (par exemple : contenus érotiques, services de rencontres pour adultes, loteries commerciales, jeux d’argent, alcool, tabac) ou contraires à la recommandation « enfant » du BVP.

1.5 Le prestataire s’engage à ne pas diffuser, sur les pages qu’il édite sauf dans les espaces réservés aux adultes (protégés par un dispositif empêchant les mineurs de consulter ces contenus), des contenus pornographiques, violents ou attentatoires à la dignité humaine. Il s’engage, en outre, à ne pas faire figurer des liens hypertextes vers de tels contenus depuis sa page d’accueil.

[…]
1.27 Lorsqu’il crée un espace interactif spécifiquement dédié aux mineurs, le prestataire s’engage à modérer les propos échangés conformément à la charte d’utilisation prévue au 1.19, tout le temps de leur accessibilité au public. Le modérateur répond aux sollicitations ; il est spécifiquement informé des procédures à mettre en oeuvre en cas de signalement de contenus ou de comportements illicites.

Même si une telle marque de confiance n’a pas encore été créée, ses recommandations sont parfaitement adaptées à ce type de services qui, s’ils ne les respectent pas, non seulement mettent en danger des enfants, mais risquent de tomber sous le coup de la loi (notamment au regard de l’article 227-24 du code pénal).

Faites-vous votre propre opinion, et informez-vous, en regardant ce reportage et les échanges qui ont suivi sur le plateau.

Conférence de presse d’Action Innocence

L’association Action Innocence ouvrait cette année, le lundi 22 mars 2010, par une conférence de presse et un déjeuner avec l’ensemble de ses partenaires. Ce fut l’occasion de faire le point sur l’ensemble des actions de l’association, notamment en partenariat – en France, mais aussi dans d’autres pays Européens – avec les services de police chargés de la protection de l’enfance sur Internet.

Ainsi, Action Innocence a repris le flambeau depuis quelques années du développement d’une application permettant l’identification des internautes qui sont suspectés de diffuser sur les réseaux pair à pair (P2P) des contenus à caractère pédopornographique, le logiciel Antipedofiles – P2P. Il est exploité en France par la division de lutte contre la cybercriminalité (DLCC) du service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD) de la gendarmerie nationale à Rosny-sous-Bois.

Enfin, cette journée fut l’occasion d’inaugurer officiellement la nouvelle plateforme de prévention à destination des jeunes de 9 à 12 ans: Netcity.org. Disponible en 3 langues – français, allemand et italien – il permet aux jeunes internautes de découvrir les risques de l’Internet qui les concernent et les moyens de s’en prémunir. Sous la forme d’un jeu interactif, il permet aussi aux parents d’entamer le dialogue avec leurs enfants et peut-être d’être sensibilisés à leur tour.

Blocage des sites pédopornographiques (suite)

Assemblée nationale (Photo: GPL)

Préambule

En préambule, je tiens à rappeler certains éléments de contexte sur le projet de blocage des sites pédopornographiques:

  • L’idée n’est pas née en France, mais est défendue par ses services spécialisés suite à plusieurs années d’échanges avec nos collègues, en Europe notamment, qui ont initié le même type de projets (voir le site Web du projet CIRCAMP);
  • Le blocage n’est pas une fin en soi. L’objectif est de contribuer à la lutte contre la diffusion des contenus pédopornographiques, dont j’ai déjà expliqué ici qu’il comportait de nombreuses facettes;
  • Si ce dispositif spécifique était décidé par le législateur, nous ne déclarerons nullement victoire, car il y a encore beaucoup de pain sur la planche, et comme pour beaucoup de sujets qui touchent à la lutte contre la délinquance, les moyens humains et financiers sont cruciaux.

De nouveaux éléments de débat ?

Le débat sur Internet au sujet du projet de blocage des sites pédopornographiques, voulu par la LOPPSI, est réellement devenu confus.

Ainsi, depuis quelques semaines, une campagne contre les dispositions liées au blocage des sites pédopornographiques contenues dans la LOPPSI est menée avec à la clé, la publication d’un recueil d’articles (voir l’article de Fabrice Epelboin sur ReadWriteWeb) dont le premier porte sur l’analyse du témoignage d’un pédophile qui a été diffusé voilà un an sur Wikileaks.

Qu’apportent ces nouveaux arguments au débat ? Voici le résultat de mes réflexions et mes réactions aux reproches qui sont faits aux professionnels de la lutte contre ces formes de délinquance.

Le blocage serait favorable pour le commerce pédophile ?

L’argument principal présenté par Fabrice Epelboin est que les groupes criminels qui commercialisent sur Internet des contenus pédophiles seraient devenus de tels spécialistes des techniques permettant de faire circuler discrètement des contenus illicites sur Internet, qu’ils deviendront les maîtres des réseaux « underground ». Et sa conclusion en est que le blocage les rendra incontournables dans l’exploitation de l’Internet illégal et serait en réalité leur planche de lancement.

En préambule on comprend très bien que le défenseur de la pédophilie qui est cité décrit une situation déformée par le prisme de son expérience personnelle. Ainsi, il nous explique que l’Allemagne serait le lieu de tous les hébergements underground, grâce aux serveurs les plus « fiables, les plus rapides et les plus abordables ». D’autres vous diront que ce sont les prestataires hollandais ou américains, en fonction de leur expérience personnelle. On retrouve des serveurs aux activités illégales dans des hébergeurs du monde entier. Et effectivement, le reste de son discours est déformé par le même prisme.

Les pratiques décrites comme ayant été développées pour les réseaux de diffusion pédophiles, sont en réalité celles de tous les groupes criminels organisés sur Internet, ceux qui diffusent des contenus pédophiles, comme ceux qui se « contentent » de vendre de faux logiciels de sécurité, de contrôler les botnets qui permettent de collecter des données personnelles monnayables, etc… J’ai décrit pour mes lecteurs quelques facettes de ces pratiques dans différents articles sur les hébergeurs malhonnêtes.

La diffusion de contenus pédopornographiques par ces groupes remplit en réalité deux objectifs:

  • c’est une source de revenus, un produit supplémentaire à leur catalogue;
  • c’est un des multiples appâts dont ils se servent pour attirer des pigeons dans leurs filets.

En effet, certaines victimes tombent pour la publicité vantant un médicament puissant et pas cher, d’autres pour des images pornographiques ou encore des logiciels de sécurité, et certains sont recrutés grâce aux images pédophiles. Les techniques de publicité par spam (courriers électroniques non sollicités), de rabattage vers la plateforme commerciale au travers de diffusion de liens cachés dans des vidéos disponibles sur les échanges P2P, de diffusion de logiciels espion, sont toujours les mêmes. Et au bout du compte la victime (dans le cas des images pédopornographiques aussi un peu coupable et donc qui n’osera pas aller porter plainte), donne son numéro de carte bancaire et est prélevée une fois, deux fois, puis plusieurs mois de suite.

Au bout du compte, le blocage des sites pédopornographiques de ce type-là va avoir pour effet collatéral de rendre beaucoup plus difficiles les autres formes d’escroqueries. En effet, on retrouve souvent sur les mêmes serveurs, derrière la même adresse IP des centaines de sites Web de promotion, les uns pour des contenus pédophiles mais les autres pour toutes sortes d’autres produits tout aussi illégaux.

En réalité donc, le blocage des sites pédopornographiques va rendre beaucoup moins intéressant pour ces groupes-là ce genre de commerce, ce qui va nuire finalement à leur modèle économique. Donc pour certains d’entre eux, ils seront au contraire motivés à quitter le commerce pédopornographique : une première victoire pour nous, mais qui ne nous empêchera pas de continuer à travailler sur leurs autres formes d’activités illicites.

La lecture de l’excellent rapport d’Europol sur le crime organisé de 2009 pourra donner une meilleure idée de la très grande transversalité des activités des groupes criminels organisés. On pourra aussi lire avec intérêt la présentation faite par François Paget lors du dernier panorama du Clusif sur la cybercriminalité, dont je rendais compte voici quelques jours, sur une entreprise aux activités particulièrement suspectes en Ukraine.

Quid des autres arguments ?

Je passerai rapidement sur la tentation à laquelle succombent les différents participants de l’ouvrage à minorer l’ampleur du problème (la tête dans le sable encore ?). Ainsi, selon Epelboin, cette forme de commerce ne représenterait « que » quelques dizaines de millions d’euros de chiffres d’affaires annuels. Déjà en soit, quelques dizaines de millions d’euros seraient un résultat non négligeable. A l’appui de son savant calcul, les dires de notre fameux pédophile anonyme : « en 2004, le leader du marché totalisait un chiffre d’affaires de plus de 20 millions de dollars », valeur à multiplier donc par le nombre total de groupes criminels concernés. En réalité, les quelques dizaines de groupes criminels qui agissent dans ce domaine réalisent très certainement des chiffres d’affaires semblables (répartis sur plusieurs types de « produits » comme je l’évoquais au-dessus) et on doit être plus proche des 500 millions de dollars ou du milliard de dollars annuels. Certaines études évaluaient  en 2004 ce marché à 3 milliards de dollars.

Toujours à minorer le problème, un autre intervenant de l’ouvrage intervient: proclamé expert informatique britannique, qui a commencé ses activités dans ce domaine voilà moins de deux ans, à l’avenir certainement très prometteur. Il nous affirme sans sourciller qu’il n’y aurait plus aujourd’hui d’échanges de contenus pédopornographiques sur les réseaux pair à pair classiques. Il dit par exemple: « la plupart de ce qu’on y trouve n’est pas réellement de la pédopornographie et ne peut donner lieu à des poursuites ». Malheureusement, il se trompe complètement. On y trouve les formes les plus graves d’atteintes sur des mineurs. Effectivement pas toujours les toutes dernières productions – encore qu’on y retrouve des productions non professionnelles récentes. Le P2P est malheureusement encore beaucoup utilisé pour partager des fichiers pédopornographiques et l’équipe du département de répression des atteintes aux mineurs sur Internet du STRJD à Rosny-sous-Bois en identifie plusieurs dizaines en France chaque mois.

C’est le même expert britannique qui nous explique que les techniques policières de collecte du renseignement sont inadaptées: « la surveillance est une énorme perte de temps », dit-il (en parlant de la surveillance de l’activité d’un suspect, par exemple par le biais d’interceptions, en comparaison de l’analyse forensique d’un ordinateur saisi au moment de la perquisition qui révélerait tout autant d’informations). Il manque très clairement de recul par rapport à ce qui est utile ou non dans une enquête judiciaire. Par exemple, avant d’envisager une perquisition qui permettra de saisir du matériel informatique, il est évident que les policiers doivent collecter des preuves en amont qui vont confirmer la nécessité de cette perquisition: il n’y a pas de perquisition « en aveugle ».

Enfin, l’argument de la censure et de la prohibition est longuement développé. Il n’aura pas échappé au lecteur averti que la possession, la fabrication et la diffusion de contenus pédopornographiques sont interdits. Oui, ces contenus sont illégaux, prohibés, pour des raisons évidentes. Je ne crois pas que les rues de Paris se soient transformées en champ de bataille à cause de cette prohibition de la pédopornographie. Les pays qui ont mis en place le blocage en Europe non plus. D’ailleurs le pédophile allemand qui est cité en appui de ces démonstrations souhaite carrément la libéralisation de la pédopornographie, je ne vois pas comment on peut utiliser ses arguments sur la prohibition pour critiquer le dispositif de blocage proposé! Le même nous explique qu’il a beaucoup plus peur du NCMEC (organisme américain chargé aux côtés du FBI de la lutte pour la protection de l’enfance) que des terroristes.

En conclusion, une bonne partie de ce qui est présenté comme nouveaux arguments consiste à affirmer que les services spécialisés en France, en Europe et au-delà ne savent pas de quoi ils parlent, ne connaissent pas les groupes criminels pédophiles, ne regardent pas du bon côté, travaillent mal… Soit. On a toujours des progrès à faire, c’est certain. Mais aujourd’hui je ne suis pas convaincu par ce qui nous est proposé à lire.

L’impact sur le réseau, la liberté d’expression, le surblocage

J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer les autres éléments du débat. La mesure est-elle proportionnée ? Quels risques prend-on par rapport aux infrastructures ? Quelle transparence sera donnée au dispositif ? Qui contrôle ? Combien ça coûte ?

Ainsi, le surblocage est un sujet important à prendre en compte, en cas de mises en place de telles mesures. Supposons d’abord que les listes fournies par l’autorité chargée de les établir seront validées ou contrôlées par l’autorité judiciaire. Elles devront aussi être adaptées en fonction des techniques de blocage (selon que l’on bloque sur la base de l’adresse IP ou un nom d’hôte par exemple) de façon à limiter le surblocage. Il faudra aussi être en mesure de réagir promptement aux demandes éventuelles des personnes lésées. Ainsi, Europol a déjà mis en place un site d’information permettant à de telles situations d’être rapidement résolues. Cette initiative fait partie du projet CIRCAMP, financé par la Commission Européenne dans le cadre du Safer Internet Programme, pour aider les services de police à coordonner leur action dans la lutte contre les contenus illicites. On pourrait reprendre le même modèle plus spécifiquement à destination du public français. En effet, en plus du magistrat qui serait éventuellement chargé de contrôler l’autorité administrative – comme le prévoit la version issue de la commission des lois, le public sera lui-même un excellent arbitre de toute erreur en surblocage qui ne manquera pas d’être détectée et donc corrigée.

Enfin, l’action contre les flux financiers – je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises (ici au moment de la conférence Octopus du Conseil de l’Europe en 2009) – est évidemment une des priorités de l’action des services d’enquête en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.

Efficacité supposée de la mesure

Ce soir, sur Public Sénat, Benjamin Bayart déclarait que l’efficacité de la mesure n’est pas évaluée. L’étude d’impact du projet de loi présenté devant le parlement (et disponible en suivant ce lien, voir la page 107 du PDF) explique pourtant le nombre de connexions qui sont bloquées chaque jour dans les pays qui appliquent la mesure :

  • 30.000 connexions / jour en Suède,
  • 15.000 connexions / jour en Norvège,
  • 12.000 connexions / jour au Danemark.

Il va de soi que l’efficacité devra être aussi mesurée en France.

En conclusion:

  • non, le blocage ne favorisera pas le commerce pédopornographique, au contraire !
  • oui, il y a un problème de la diffusion commerciale de ces contenus et l’action contre les flux financiers liés à ces activités est menée ;
  • oui, il faut un débat sur les moyens à mettre en œuvre, mais il ne faut pas tout mélanger.

Hébergeurs malhonnêtes : nouvelle fermeture (3FN)

3FN

J’ai déjà pu évoquer plusieurs cas de fermetures d’hébergeurs malhonnêtes aux États-Unis cette année, notamment le cas de la société McColo. Cette semaine, un nouveau cas avec la société « Pricewert LLC » (société basée à Belize) et une évolution dans le processus qui a conduit à la fermeture de cet hébergeur : l’action résolue des services en charge de la protection des consommateurs et de la régulation du commerce aux USA (la FTC ou Federal trade commission).

On apprend donc jeudi, dans un communiqué de la FTC, qu’elle a obtenu en justice la fermeture de cet hébergeur qui exerce ses activités sous plusieurs dénominations (3FN et APS Telecom). L’investigation menée par la FTC aurait permis de démontrer que cette société aurait des liens avec des groupes criminels impliqués dans la distribution de logiciels malins, la distribution de pornographie enfantine ou des centres de commande de botnets.

La notion d’hébergeur malhonnête est ici définie par la FTC aussi par le fait que la société protégeait ses hôtes en ne répondant pas aux requêtes officielles ou en utilisant des techniques d’évasion numérique, c’est à dire ici l’hébergement sous des adresses IP différentes des mêmes services illicites.

La société 3FN (3fn.net) semblait être un hébergeur à la fois reconnu et critiqué. Cette société aurait été créée en 1999, est installée depuis cette époque en Californie. Ainsi, la société Triple Fiber Network a pu récemment annoncer la signature d’un contrat avec LEVEL3, l’un des plus gros fournisseurs de connectivité Internet. Selon les chiffres les plus récents, ce sont plus de 7600 domaines qui étaient hébergés chez 3FN. Des serveurs au contenu clairement malhonnête : Portland APS Telecom hébergeait ainsi ultimatepayment.com ou truebillingservices.com – des serveurs de paiement utilisés pour différentes escroqueries au faux antivirus (on note au passage des liens avec EstDomains dont l’accréditation ICANN a été interrompue en septembre 2008), IC Audit & Consulting – une escroquerie typique à l’emploi d’intermédiaires financiers, etc. Les exemeples sont innombrables.

Ainsi, le NCMEC aurait relevé plus de 700 rapports d’hébergements de contenus pédopornographiques, le premier remontant à 2004. Enfin, le botnet Cutwail aurait été affecté par cette nouvelle fermeture.

Pour mener ces investigations, la FTC a reçu le soutien de spécialistes de la NASA (qui dispose d’enquêteurs spécialisés, comme beaucoup de grandes agences américaines), l’université de Birmingham dans l’Alabama (l’équipe de Gary Warner), le National center for missing and exploited children (NCMEC), l’association Shadowserver, la société Symantec et le projet Spamhaus.

Les contraintes validées par le juge sont d’interdire à la société Pricewert LLC de poursuivre ses activités, de contraindre ses fournisseurs de connectivité à Internet et aux centres d’hébergement de cesser tout service à son profit. Les biens de la société ont aussi été gelés, en attente d’une première audience sur le fond qui devrait se tenir le 15 juin prochain.

Il sera intéressant de comprendre si cette société a été créée en 1999 pour commettre de tels méfaits, si c’est une dérive de ses gestionnaires attirés par l’appât du gain ou une prise de contrôle ultérieure. En tous cas des liens ont bien été établis avec des personnes originaires de l’Europe la plus orientale (y compris a priori le gestionnaire de la société 3FN). Enfin, il faut souligner ici l’implication des autorités américaines dans cette démarche, ce qui avait manqué dans les affaires McColo et Atrivo.

Blocage des sites pédopornographiques

Blocage sur le Web
Bon… un sujet à polémique, que j’ai déjà évoqué dans le passé (lors de la publication du rapport du Forum des droits sur Internet). Le ministre de l’intérieur a donc confirmé cette semaine l’introduction dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure d’un article visant à permettre le blocage des sites web pédophiles.

Je vais essayer de partager avec mes lecteurs mon avis sur le sujet. Je me baserai notamment sur ma connaissance de ce que nous faisons en gendarmerie dans la lutte contre ces phénomènes.

Pratiques existantes

Tout d’abord essayons de décrire l’ensemble des pratiques d’échanges et de diffusion de contenus pornographiques représentant des mineurs :

  • L’échange privé entre deux personnes, par courrier électronique ou par échange de fichiers entre contacts dans un logiciel de messagerie instantanée ;
  • L’échange sur les réseaux pair à pair (libres d’accès ou privés, cryptés ou non) ;
  • La diffusion sur des « newsgroups » ;
  • L’échange dans des groupes de discussion / forums web (hébergés sur des plateformes ou grâce à des scripts installés sur un serveur Web) ;
  • L’échange sur des canaux IRC, notamment par la configuration de scripts de partage (type Panzer) ;
  • La diffusion sur des sites Web (gratuits ou payants).

De façon plus anecdotique on trouve aussi des serveurs FTP, plutôt confidentiels.

Qu’est-ce qui est fait contre ces différentes formes de diffusion ?

C’est une question parfaitement sensée, notamment lorsqu’on en vient à parler de blocage, de savoir si tout le nécessaire est bien fait pour lutter contre ces phénomènes ?

S’agissant de la première catégorie, il s’agit d’échanges privés. Il n’est pas question (moralement et légalement) de détecter ou de filtrer ce type d’échanges, sauf évidemment lorsque les délinquants se serviraient de leur messagerie professionnelle pour le faire. La plupart de ces situations sont détectées une fois que des amateurs d’images pédophiles supposés sont interpellés, par l’analyse de leur ordinateur. Il est aussi envisageable, pour une personne contre qui il existe des indices de telles pratiques illégales, qu’un juge d’instruction ordonne une interception de ses communications Internet (articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale). Mais l’outil légal le plus intéressant pour détecter ce type de pratiques est très certainement la loi sur les cyberpatrouilles que j’ai déjà évoquée à plusieurs reprises sur ce blog.

Sur les réseaux pair à pair « ouverts », des équipes spécialisées d’enquêteurs disposent d’outils dédiés (par exemple AntiPedofiles-P2P de l’association ActionInnocence). Plusieurs dizaines de cibles sont ainsi identifiées chaque mois par les enquêteurs du STRJD à Rosny-sous-Bois. La loi sur les cyberpatrouilles autorise maintenant certains enquêteurs à s’infiltrer sous pseudonyme dans les réseaux P2P chiffrés réservés à des groupes fermés. C’est la même chose pour les forums Web.

Les échanges sur les canaux IRC sont une situation intermédiaire, puisqu’ils sont à la fois des lieux d’échanges publics et de conversations privées. Une fois de plus, les cyberpatrouilles permettent d’étendre les possibilités des enquêteurs dans ce domaine.

La surveillance des « newsgroups » est facilitée par la nature même de cet outil, pour lequel il existe de nombreux moteurs de recherche. En revanche, il reste assez préoccupant qu’aucune mesure ne soit prise par les hébergeurs de ces serveurs pour empêcher les groupes de discussion manifestement illicites (certains noms de « newsgroups » en alt. ne laissent pas la place à l’interprétation…). C’est un sujet sur lequel il reste encore à imaginer de nouveaux modes d’action adaptés.

Et contre les sites web ?

Venons-en maintenant aux sites web de diffusion de contenu (par opposition aux forums web couverts plus haut). On peut observer plusieurs catégories :

  • des sites web personnels ;
  • des sites web pornographiques professionnels qui jouent au mélange des genres ;
  • des sites web pédopornographiques professionnels et donc commerciaux ;
  • des sites web malicieux qui attirent les visiteurs avec toutes sortes de contenus pour leur voler des données personnelles, bancaires ou provoquer l’installation de logiciels malicieux (notamment grâce à des informations cachées dans certaines vidéos).

Leurs hébergements sont de différentes nature : sites web personnels, sites sur un hébergement professionnel (avec toutes les nuances imaginables), squat sur des sites légitimes, abus de la connectivité d’autrui notamment au travers des botnets.

La lutte contre l’ensemble de ces sites illicites est grandement facilitée depuis le début de l’année par la mise en place de la plateforme de signalement, où cinq gendarmes et cinq policiers recueillent les témoignages d’internautes. Une grande partie d’entre eux portent sur des contenus pédopornographiques. Si le site est en France, il est assez facile de le faire fermer et d’en identifier l’origine. Lorsqu’il est à l’étranger cela devient plus complexe, voire impossible chez certains hébergeurs malhonnêtes.

Si les législations internationales existent, elles ne sont pas toujours ratifiées par l’ensemble des pays (par exemple : Russie, Turquie, San Marin, Andorre et la Principauté de Monaco, n’ont ni signé ni a fortiori ratifié la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité) ou appliquées. La coopération internationale existe (en octobre 2007, la gendarmerie avait ainsi mené l’opération Arc-En-Ciel, suite à un signalement reçu de l’étranger sur une diffusion illicite organisée depuis un site de téléchargement français). Mais elle se heurte à certaines frontières : la corruption dans certains pays ou plus souvent l’inaction ou l’impuissance des responsables officiels.

La coalition financière européenne est une autre réponse contre ces formes de commerce illicites. Ainsi, la commission européenne a-t-elle décidé de financer une initiative qui vise à rassembler les efforts des acteurs de l’Internet, des services d’enquête et des grands réseaux financiers, pour identifier et bloquer les flux financiers liés aux contenus pédopornographiques. La France doit rejoindre la coalition – initiée par nos collègues anglais et italiens – dès cette année.

Mais la volonté des groupes criminels est particulièrement tenace, ils profitent de toutes les failles du système et continuent de faire d’importants bénéfices financiers grâce à l’abus sexuel des mineurs et à sa représentation.

Et maintenant, le blocage ?

Pour compléter l’ensemble des actions que je viens de décrire, et devant le constat que de nombreux sites Web subsistent encore et continuent de faire des dégâts, un groupe de travail européen propose de mettre en place des solutions de blocage ciblées. Soutenue par Europol et Interpol, cette initiative vise à mettre en place dans l’ensemble des pays concernés des techniques empêchant l’accès à ces sites web.

Ainsi, le Royaume-Uni, la Norvège, le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas ont-ils mis en place de façon concertée avec les grands fournisseurs d’accès des dispositifs empêchant l’accès à une liste de sites fournie par la police. D’un pays à l’autre, d’un opérateur à l’autre, les solutions techniques sont différentes, adaptées aux situations locales. La France quant à elle s’oriente donc vers une solution législative (comme l’Italie en 2006) plutôt que de gré à gré avec les opérateurs.

Que dit le projet de loi ?

Le texte du projet est accessible sur le site Web du ministère de l’intérieur.

L’article 4 propose ainsi d’insérer dans l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique un alinéa, après le quatrième alinéa du paragraphe 7 du I :

Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant des dispositions de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 les adresses Internet des services de communication au public en ligne entrant dans les prévisions de cet article et auquel ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai.

Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensées, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs.

(Cet article 4 prévoit aussi des sanctions pour les fournisseurs d’accès qui n’appliqueraient pas ces mesures.)

En langage clair, un service du ministère de l’intérieur transmettrait, dans des conditions qui doivent être précisées dans un décret, la liste des sites Web diffusant des contenus pédopornographiques dont il convient d’empêcher l’accès.

Quels sont les arguments de ceux qui s’opposent à ce projet ?

Il est important en démocratie d’écouter l’ensemble des avis sur un tel sujet, notamment lorsqu’il s’agit de restrictions potentielles aux libertés publiques (notamment en cas de surblocage).

Il s’agirait de créer en France une forme nouvelle de censure

C’est clairement faux, puisque la loi pour la confiance dans l’économie numérique permet déjà dans le 8° du I de ce même article 6 au juge civil d’ordonner que des mesures soient prises par les hébergeurs, puis si cela n’est pas suffisant, par les fournisseurs d’accès pour empêcher un dommage. Les mesures de blocage existent donc en droit.

Ces mesures sont d’ailleurs prévues au niveau européen par l’article 14, 3° de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique dont est issue la LCEN.

En revanche, les dispositions actuelles ne permettent pas à l’enquête pénale de conduire au dit blocage. D’où une disposition spéciale.

Il s’agirait d’une démarche visant à contrôler la liberté d’expression

Comme je viens de le dire, les mesures de blocage peuvent déjà être ordonnées, ce n’est pas une nouveauté en France. Ce qui est nouveau, c’est la possibilité d’avoir une action plus dynamique et plus efficace contre les sites Web pédopornographiques (puisque le projet de loi vise explicitement et uniquement cette infraction). Et il ne me semble pas que ce type de contenus relève de la liberté d’expression.

Le dispositif ferait fi du principe de subsidiarité de la LCEN

Oui, en pratique, le juge n’intervient pas dans le dispositif proposé. Mais en quoi consisterait en pratique le principe de subsidiarité appliqué à cette situation, avec le droit actuel ?

Cela supposerait de contacter d’abord l’éditeur du site pour lui intimer l’ordre de retirer ces contenus…

Ensuite, il faudrait s’adresser à l’hébergeur, dont j’ai expliqué tout à l’heure qu’évidemment ceux qui nous intéressent ici, sont justement ceux qui ne coopérent pas avec l’autorité policière ou judiciaire française.

Enfin, seulement il faudrait que le juge se prononce sur l’ensemble de ces actions, sur le contenu incriminé et cite l’ensemble des fournisseurs d’accès français, qui devraient présenter leurs arguments en réponse, pour ensuite ordonner le blocage du dit site. Et cela, pour chacun des sites Web concernés.

Ubuesque…

En revanche, rien n’interdit le contrôle de ces dispositions. S’agissant d’une mesure administrative, c’est le juge administratif qui pourra être saisi par quiconque estime être lésé par les mesures de blocage. Il y a donc bien contrôle par le juge de la mesure proposée. C’est d’ailleurs déjà le cas pour l’interdiction de vente aux mineurs de certaines revues, qui font aussi l’objet de mesures administratives.

Enfin, comme l’indiquait récemment Christian Aghroum, chef de l’OCLCTIC, dans une interview, il n’est pas question dans ce projet d’autres types de contenus. Et c’est particulièrement important pour l’équilibre du dispositif. En effet, estimer la nature illégale d’un contenu pédopornographique est assez simple et constitue le travail de spécialistes des services d’enquête – malheureusement – depuis de nombreuses années. En revanche, pour d’autres types de contenus (discrimination, diffamation, …) l’interprétation du juge serait cruciale.

Le projet présenterait de gros risques techniques

Oui, le blocage au niveau des opérateurs n’est pas une action sans conséquence. D’ailleurs, c’est bien ici la compétence des acteurs techniques qui est recherchée par le projet de loi. Ce sont les spécialistes des opérateurs qui la mettront en œuvre, en fonction de leurs infrastructures.

Et tous les jours, les fournisseurs d’accès prennent des mesures techniques pour protéger leurs infrastructures et leurs abonnés. Ne serait-ce que pour lutter contre le spam ou certaines attaques massives. Parfois, ils peuvent faire des erreurs, Internet ne s’est pas encore effondré (les exemples sont nombreux, par exemple avec des incidents dans l’accès à Google – forcément vite repérés, mais la situation est très vite rétablie).

Ainsi, Wikipedia avait souffert en décembre 2008 d’un surblocage au Royaume-Uni. Le mécanisme – assez complexe – était lié à la combinaison de l’action du dispositif de blocage utilisé dans ce pays (apparemment, le passage par un proxy pour certaines adresses IP de destination) et le dispositif anti-vandalisme de Wikipedia (qui a détecté ces proxys comme des sources probables de vandalisme). C’est assez bien expliqué dans l’article que j’ai mis en lien et on pourra aussi consulter l’information publiée par Wikipedia à ce sujet.

Cet incident milite d’abord pour une gestion transparente de ce projet – le débat public à venir en est une caractéristique. Et il veut surtout dire qu’il est important pour l’ensemble des acteurs du blocage (pouvoirs publics et opérateurs) de dialoguer efficacement pour anéantir les possibilités de surblocage ou de nuire à la qualité de l’accès Internet, selon les techniques choisies par les uns et par les autres.

Et le blocage ne serait pas la panacée…

Oui, aucune mesure de prévention ne réussit à 100%… Le tout est de savoir si elle aura une certaine efficacité.

Déjà pour l’internaute français lambda (adulte ou jeune), non intéressé par ce type de contenus, la mesure n’aura pas de conséquence (à conditions que les risques de surblocage soient bien gérés, comme je viens de l’évoquer) et le protégèra de certains contenus, y compris de sites diffusant des logiciels malveillants. Il est d’ailleurs indispensable à ce titre que la qualité de navigation de ces internautes ne soit pas diminuée.

Pour l’internaute qui chercherait ce genre de contenus, beaucoup seront bloqués et le marché commercial des promoteurs de ces sites en sera diminué d’autant. Et toutes les occasions de créer la peur du gendarme chez ces délinquants potentiels est une bonne mesure préventive. Les plus insistants trouveront peut-être des techniques pour contourner le blocage. Mais comme je l’ai déjà évoqué, ce sont loin d’être les seules mesures que nous prenons contre ces sites Web et ils pourront par exemple être retrouvés grâce à leurs transactions bancaires avec ces sites. Et rien ne nous interdit d’imaginer des techniques supplémentaires pour mieux identifier ces actions illicites, le travail est – nous le savons bien – loin d’être accompli.

Conclusion

Nous sommes donc face à un choix de société important. Il est important de ne pas sous-estimer la réalité de ces phénomènes et leur impact sur les enfants (je parle ici des victimes de ces actes sexuels), mais aussi les gains financiers permis par de telles abominations. Il est important aussi de ne pas déplacer le débat : le blocage n’est pas juridiquement une nouveauté, ce qui l’est c’est une action plus efficace contre les sites pédophiles et notamment les sites de nature commerciale et mafieuse.

Forum des droits sur l’Internet – Filtrage des sites web pédopornographiques

FDI

FDI

Le Forum des droits sur l’Internet (FDI) publiait ce matin le rapport d’un groupe de travail sur le filtrage des sites pédopornographiques. Il s’agissait d’étudier les modalités techniques et juridiques d’une telle mesure en France. Le FDI a entamé ces travaux suite à des demandes exprimées par le ministre de l’intérieur (Michèle ALLIOT-MARIE) et la secrétaire d’Etat chargée de la famille (Nadine MORANO).

Contexte international

Ce projet s’inscrit dans un projet suivi au niveau Européen, visant à harmoniser les politiques des Etats dans ce domaine. Ainsi, le groupe de coordination des chefs de police européens (COSPOL – Comprehensive Operational Strategic Planning for the Police) a engagé un projet dénommé CIRCAMP (COSPOL Internet related child abusive material project), dont une des missions identifiées a été de développer de bonnes pratiques dans le domaine du blocage : le « child sexual abuse anti distribution filter ».

En effet, il subsiste des paradis virtuels pour les diffuseurs de contenus illicites, hors de portée des décisions judiciaires et de la coopération policière.

Ainsi, les expériences menées en Norvège et au Royaume-Uni ont-elles pu montrer un intérêt à mettre en œuvre ce type de mesures préventives. Dans ces deux pays, il s’agit d’accords volontaires entre les pouvoirs publics et les opérateurs Internet. Les autres pays européens étudient donc des propositions similaires.

Résumé des conclusions du groupe de travail du FDI

Le FDI définit d’abord l’objectif possible d’une telle mesure:

« Dès lors, et s’agissant des sites hébergés à l’étranger, le filtrage des sites contenant des images ou représentations d’abus sexuels sur mineurs apparaît comme un levier supplémentaire permettant de lutter contre ce type de contenu. Une telle mesure permettrait également d’éviter leur banalisation. Par ailleurs, ces sites étant souvent de nature commerciale, cela limiterait leur accès à un potentiel marché français. »

Ensuite, le FDI procède à une étude juridique de la possibilité d’implémenter ce dispositif en France, qui se heurte à la fois aux dispositions des textes européens (neutralité des opérateurs définie notamment dans la directive 2000/31/CE du 08 juin 2000, mais qui prévoit aussi la possibilité pour une autorité officielle d’ordonner des mesures permettant de mettre un terme ou prévenir des violations) et aux dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (article 6, I, 8 de la LCEN 2004-575 du 21 juin 2004, qui prévoit l’intervention d’un juge pour ordonner un blocage, comme cela fut le cas dans l’affaire AAARGH).

Partant de ce constat, le FDI propose qu’une disposition législative nouvelle vienne encadrer le dispositif, avec la création ou la désignation d’une autorité administrative qui aura pour mission de valider et de transmettre aux opérateurs une liste des sites situés à l’étranger et diffusant des images ou représentations de mineurs à caractère pornographique. Cette liste devrait être mise à jour régulièrement. L’internaute visitant volontairement ou involontairement un tel site serait redirigé vers une page d’information sur le dispositif et aucune trace de sa connexion ne sera conservée.

Cette autorité serait garante de la stricte conformité des sites bloqués aux critères définis par la loi, à savoir la diffusion de contenus rendus illicites par l’article 227-23 du code pénal et situés en dehors de l’Union Européenne.

Enfin, il est souligné que les solutions techniques ne devraient pas être imposées aux opérateurs qui resteraient ainsi maîtres de la qualité de service offerte aux Internautes pour la fourniture des services légitimes.

Le texte du rapport peut être consulté sur le site du Forum des droits sur l’Internet en suivant ce lien.

Que disent les opposants à un tel projet ?

Bien entendu, il n’y a pas de consensus général sur un tel projet. Ainsi sont évoquées la volonté de censurer l’Internet, comme cela est le cas dans des contrées moins démocratiques, la possibilité que ce dispositif soit étendu progressivement ou brutalement à des infractions dont la répression semble moins justifier des mesures aussi fortes ou surtout présente des risques techniques dans son implémentation, comme ce qui est arrivé en début d’année à l’opérateur national du Pakistan. On retrouve ces différents points dans le rapport cité supra, ainsi que sur différentes contributions publiées sur Internet comme celle de l’association « La Quadrature du Net ».

Que va-t-il se passer maintenant ?

Le débat n’est donc pas encore conclu sur ce sujet. La recommandation du FDI viendra certainement alimenter des débats à venir au Parlement, dans le cadre d’un futur projet de loi encadrant ce dispositif. Les différents acteurs sont en tous cas d’accord pour souligner qu’il s’agit avant tout d’un objectif de blocage (empêcher l’accès) plutôt que d’un objectif de filtrage (terme pouvant laisser supposer qu’on surveille les connexions de chacun des internautes français).