Une information publiée ce week-end pointait l’attention des lecteurs attentifs sur une actualité provenant des Etats-Unis : 5500 utilisateurs de Facebook, délinquants sexuels, ont vu leur compte supprimé. Cette actualité pose la question plus générale du moyen de prévenir l’action de prédateurs sexuels potentiels sur Internet.
Que s’est-il passé exactement ?
Selon les différents articles publiés à ce sujet, assez largement répétitifs, car provenant certainement de la même dépêche d’agence de presse, 5585 comptes d’utilisateurs de Facebook ont été supprimés (sur les 175 millions de comptes existants) entre le 1er mai 2008 et le 31 janvier 2009, suite à des investigations menées notamment par le procureur général de l’État américain du Connecticut, mais aussi sur la base de recoupements opérés par Facebook pour repérer des pratiques suspectes. Et la déclaration du représentant de la société est à ce titre très intéressante : « Notre optique est d’effacer les délinquants sexuels quand ils sont signalés ou identifiés, par tous les moyens ».
Dans le cadre de la même commission d’enquête à laquelle participe le procureur général du Connecticut, 90.000 prédateurs sexuels auraient été identifiés parmi les utilisateurs de la communauté en ligne Myspace. La même société avait annoncé en Juillet 2007 la suppression de 29.000 comptes sur la base de Sentinel Safe, une base de données privée recensant les données personnelles de centaines de milliers de prédateurs sexuels américains.
Qu’en conclure et quelles questions cela soulève-t-il ?
Facebook a agi sous l’impulsion et vraisemblablement selon les directives d’un magistrat. D’autre part, Facebook est une société de droit privé qui affiche très clairement la volonté de ne pas voir dévoyé son système au profit de prédateurs sexuels. Peut-on donc leur en vouloir ?
L’autre face de la médaille est la privatisation de l’action répressive. En effet, mener une telle enquête sur des réseaux, collecter des données personnelles et se servir pour cela des services d’une société privée constitue un pas de plus dans cette direction. Avant de continuer, il faut se rappeler qu’aux Etats-Unis, les coordonnées des personnes condamnées pour des délits de nature sexuelle sont librement accessibles, par exemple sur le site national « Dru Sjodin National Sex Offender Public Website« , suite au vote de la loi Megan en 1996, du nom d’une victime d’un prédateur sexuel. En France, de telles informations ne sont pas publiées, mais effectivement collectées, dans le FIJAIS – fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles.
Les questions sont donc multiples :
- les prédateurs sexuels condamnés doivent-ils pouvoir avoir une activité sur Internet ?
- qui peut contrôler leurs faits et gestes ? est-ce qu’on peut laisser à une société privée le soin de faire le ménage sur les réseaux ?
- est-ce que la prévention auprès des victimes potentielles est suffisante ? (se méfier des inconnus, …)
Premières pistes de réflexion
Je propose les pistes suivantes pour tenter de réfléchir à ces questions :
- La législation française permet depuis 1998 la mise en place de mesures de suivi socio-judiciaires, parmi lesquelles l’interdiction de rentrer en contact avec les personnes susceptibles d’être les victimes de ces méfaits
- Seules les personnes chargées de ce suivi socio-judiciaire et les policiers ou gendarmes qui ont accès au FIJAIS peuvent vérifier si quelqu’un est soumis à ces contraintes
- Parallèlement, il est important qu’après avoir purgé leur peine les personnes condamnées soient en mesure de se réintégrer, donc il n’est pas raisonnable aujourd’hui de leur interdire à tous l’usage d’une connexion Internet (même si c’est imaginable pour certains cas graves)
- En revanche, les gestionnaires de sites reçoivent les plaintes de leurs utilisateurs et peuvent imaginer des modèles de comportements à risques (un homme de plus de 18 ans qui ne chercherait que des profils de jeunes filles de moins de 18 ans, etc…). Qui peuvent-ils contacter pour valider leurs découvertes ? Quelles mesures peuvent-ils prendre de leur propre chef ?
En conclusion, et s’agissant de mesures préventives, prenant en compte les constats effectués lors de ces initiatives américaines – à savoir la réalité de la présence active de prédateurs sexuels sur les réseaux sociaux, il nous revient de trouver une solution adaptée et proportionnelle et cela suppose de faire travailler ensemble des personnes et des services qui ne se croisent généralement qu’une fois qu’un problème est survenu.
Bonjour,
cette affaire et les diverses actions de communication entreprises récemment sur les risques liés à l’internet relancent le débat « faut-il ou non réguler le web? ». L’autre question immédiatement liée est « peut-on techniquement le faire? ».
Sur la 1ère question, je suis toujours inquiet devant une réponse affirmative, qui pourrait nous entraîner sur une voie dont on ne connait pas, aujourd’hui encore, les limites (identité numérique, traces et conservation des données, IP et vie privée, limitation des accès hotspot, cybercafés, VoIP…). Sur la deuxième question, la volonté de « responsabilisation » des acteurs semble pousser le législateur à leur confier des tâches liées au contrôle et à la surveillance… Dans ce cas, l’intervention d’acteurs privés sera inévitable … et grandissante! Les structures institutionnelles seront-elles capables de limiter les actions, gérer les litiges découlant de décisions arbitraires … Peut-on se rapprocher de ce qui se fait en matière de sûreté aéroportuaire, où des sociétés privées accréditées (soumises à une formation), assurent la sûreté et les services de l’Etat présents doivent par ailleurs assurer le contrôle de ces dites sociétés suivant un référentiel précis…? Donc formation et encadrement …?
Quoi qu’il en soit, peut-être en marge ou complémentaire à la problématique posée, 2 éléments me paraissent essentiels :
– la culture TIC et la culture du risque dans la formation des jeunes(l’apprentissage des TIC et leur utilisation est jugée encore en retrait en France – Quant à la culture du risque, elle me parait embryonnaire dans les entreprises (PME) et, fait naturellement lié, elle est mal perçue par le grand public). Je me souviens d’une animation genre « bande dessinée » en flash qui apparaissait, voici PLUS DE 10 ans, sur le site grand public de CNN International et qui présentait les traces numériques laissées par les utilisateurs dans les mémoires des divers appareils d’usage courant.
… mais l’exemple américain n’est peut-être pas un modèle !?