L’ICANN publiait le 1er octobre dernier un projet de rapport sur les noms de domaines enregistrés au travers d’un service d’intermédiation ou d’anonymisation. C’est un des sujets qui préoccupe souvent les enquêteurs et que j’ai d’ailleurs évoqué dans l’ouvrage que j’ai écrit avec Guillaume Desgens-Pasanau [1].
Dans l’étude présentée par l’ICANN – avec l’aide du NORC (National opinion research centre de l’Université de Chicago), un échantillon de 2400 noms de domaines a été sélectionné parmi les 5 plus grands TLDs (.com, .net, .org, .biz, .info). Il en ressort que 15 à 25 % des noms de domaine observés ont été enregistrés grâce un service permettant d’anonymiser les informations.
Selon les règles de l’ICANN, les bureaux d’enregistrement doivent recueillir et publier sur les serveurs Whois:
- le nom de domaine,
- les serveurs DNS associés,
- les dates de création et d’expiration,
- les informations de contact du propriétaire, techniques et administratives.
Deux types de services sont offerts:
- un service de garantie de la vie privée (ou d’anonymisation, privacy en anglais) en masquant certaines informations de contact et en permettant l’utilisation d’une adresse de courrier électronique créée spécialement par le bureau d’enregistrement (il s’agit souvent d’une option payante offerte par le bureau d’enregistrement),
- un service d’intermédiation (acquisition par proxy), où c’est un intermédiaire qui acquière le nom de domaine et en revend l’usage à l’utilisateur final. Ce sont alors les informations de contact de cet intermédiaire qui apparaissent sur les serveurs proxy.
Les résultats
Les résultats préliminaires sont intéressants. Ainsi, sur la base d’une échelle de 0 (improbable) à 3 (certain), l’utilisation d’un service d’anomyisation ou d’intermédiation est évaluée de la façon suivante:
- (3) + (2) + (1) = 24,6 % de l’échantillon
- (3) + (2) = 22,4 % de l’échantillon
- (3) = 14,6% de l’échantillon
Dans ces cas-là, 85% semblent utiliser un service d’intermédiation et 15% un service d’anonymisation.
Des vérifications supplémentaires sont programmées par l’ICANN pour affiner ces résultats.
Conséquences
Il est particulièrement frustrant pour un enquêteur de consulter le whois d’un nom de domaine en cours d’investigation et de découvrir qu’aucune information n’est réellement utilisable. Il y a deux types de démarches qui sont rencontrées: la souci légitime de préserver sa vie privée et celui, plus questionnable mais finalement compréhensible, d’empêcher l’identification lorsqu’on commet des infractions grâce à l’utilisation du nom de domaine.
Si l’on cumule cela avec le fait que ces informations sont le plus souvent déclaratives et fausses ou que de toutes façons il sera impossible pour l’enquêteur d’obtenir une quelconque information complémentaire auprès du bureau d’enregistrement (parce qu’il ne répondra pas à la requête de l’enquêteur ou bien que les autorités du pays concerné ne coopéreront pas), on comprend la difficulté du problème.
En France, la loi pour la confiance dans l’économie numérique et les règles mises en place par l’AFNIC pour les domaines qu’elle gère permettent d’avoir de biens meilleurs retours, tout en préservant si nécessaire la vie privée, mais ce n’est pas le cas dans l’ensemble des régions du monde. Il serait d’ailleurs intéressant de faire une étude semblable montrant le taux d’utilisation des services de proxy ou d’anonymisation dans les domaines rencontrés dans les enquêtes judiciaires… Une étude similaire parmi les domaines de premier niveau européens et en particulier le « .eu » serait tout aussi intéressante.
En tous cas, c’est déjà une bonne chose que l’ICANN commence à étudier ce phénomène, il sera plus intéressant de savoir si des solutions seront proposées pour permettre aux enquêtes judiciaires de se dérouler.
[1] L’identité à l’ère numérique, G. Desgens-Pasanau & E. Freyssinet, Dalloz, collection Présaje, ISBN 978-2247080618
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