février 2012

Le DNS cible de toutes les attaques?

Le DNS (domain name system – voir l’article de Wikipédia) est ce service qui permet à votre ordinateur de faire le lien entre un nom de serveur et une adresse IP. Il permet aussi aujourd’hui de diffuser de plus en plus d’informations contribuant à la sécurité des domaines sur Internet. L’actualité de ce début d’année 2012 offre de nouvelles occasions d’en parler, abordons deux d’entre elles:

  • DNS Changer, un logiciel malveillant que l’on croyait maîtrisé, fait encore et toujours parler de lui et pourrait très bien empêcher certains d’entre nous de naviguer d’ici quelques jours ;
  • Une nouvelle vulnérabilité dite des “domaines fantômes” (Ghost domains) a été révélée récemment par des chercheurs, qui pourrait permettre à des domaines abandonnés ou fermés de continuer à survivre dans certaines portions de l’Internet et permettre des abus.

DNS Changer

Le 9 novembre 2011, le ministère de la justice américain annonce (voir l’histoire telle que la raconte le FBI) la réussite de son opération Ghost Click. Ainsi six résidents Estoniens ont été interpellés pour avoir géré une opération criminelle qui leur permettait d’escroquer des millions d’internautes et un certain nombre de sociétés gérant des campagnes publicitaires.

Une variante du cheval de Troie Zlob avait été créée, apparemment en 2006 ou un peu avant, pour modifier de façon massive la configuration DNS des victimes. La première version de ce cheval de Troie, appelé DNS Changer par la plupart des sociétés antivirus, modifiait la configuration des systèmes d’exploitation pour que la résolution des noms de domaine ne soit plus réalisée par les serveurs de noms de domaine du fournisseur d’accès de la victime, mais par une batterie de serveurs gérée par le groupe criminel. Une version ultérieure permettait même la modification de la configuration de certains routeurs locaux (les boîtiers que l’on installe chez soi pour permettre l’accès à plusieurs ordinateurs au travers de la même connexion Internet).

Les serveurs de noms de domaine contrôlés par le groupe criminel étaient sur les adresses IP suivantes:

  • 85.255.112.0 à 85.255.127.255
  • 67.210.0.0 à 67.210.15.255
  • 93.188.160.0 à 93.188.167.255
  • 77.67.83.0 à 77.67.83.255
  • 213.109.64.0 à 213.109.79.255
  • 64.28.176.0 à 64.28.191.255

Ainsi, le trafic légitime des utilisateurs était détourné vers des sites commerciaux associés à ces criminels, conduisant par exemple les victimes à effectuer des achats sur des sites illégitimes, ou bien l’ordinateur affichait des campagnes publicitaires non prévues. Cela leur permettait aussi d’empêcher les mises à jour de logiciels antivirus.

Le groupe criminel était à la tête d’une société qui avait pignon sur rue, Rove Digital (voir la synthèse réalisée par Trend Micro), elle-même ayant plusieurs filiales (Esthost, Estdomains, Cernel, UkrTelegroup,…) – j’ai déjà évoqué Estdomains dans un article précédent sur les hébergeurs malhonnêtes. Comme on peut le lire dans l’article de Trend Micro, leurs activités ne se limitaient pas aux DNS malveillants (commercialisation de faux antivirus notamment).

Des serveurs DNS remplacés par des serveurs sûrs, mais plus pour longtemps

Grâce à une décision judiciaire et l’assistance de sociétés spécialisées dans la sécurité informatique (regroupées dans le groupe de travail DCWG), l’ensemble de ces serveurs de noms de domaine ont été remplacés par des serveurs légitimes (gérés par ISC). L’avantage d’une telle solution est qu’elle n’a pas soudainement coupé des millions de personnes d’un accès normal à Internet. L’inconvénient est qu’elles ne se sont pas forcément rendues compte qu’elles étaient concernées.

Cette solution est à comparer à celle qu’ont employée les autorités néerlandaises lors du démantèlement du botnet Bredolab. Dans ce dernier cas, les victimes étaient redirigées, grâce à l’utilisation de fonctions intégrées dans le logiciel malveillant, vers une page Web les avertissant de la contamination:

Message de la police néerlandaise pour avertir les victimes du botnet Bredolab

Mais, dans les prochaines semaines, vraisemblablement le 8 mars, les serveurs gérés par le DCWG ne fonctionneront plus et les ordinateurs qui sont encore contaminés par ce logiciel malveillant ou qui ne sont pas complètement reconfigurés ne pourront plus accéder normalement à Internet, les serveurs DNS qu’ils utilisent n’étant plus accessibles. Il est donc important de vérifier qu’on n’est pas concerné.

Pour vous aider à faire cela, des serveurs Web ont été mis en place dans différentes parties du monde qui vous permettent de vérifier si vous pouvez être concerné. Ainsi le CERT-LEXSI a mis en place la semaine dernière un serveur http://www.dns-ok.fr/ qui doit vous afficher l’une des pages ci-dessous:

Tout va bien

Rien ne va plus

Si vous voulez aller plus loin et vérifier plus avant votre configuration, vous pouvez consulter ce document en anglais diffusé par le FBI (voir le PDF joint) et qui donne un peu plus de précisions sur les vérifications à effectuer. En pratique, il s’agit de vérifier que la configuration DNS de vos ordinateurs ou routeurs locaux ne pointe pas vers l’une des adresses IP listées plus haut dans l’article.

Vous trouverez d’autres ressources ici: http://www.dcwg.org/checkup.html et notamment une liste de serveurs de diagnostic par le Web ici: http://dns-ok.de/, http://dns-ok.be/, http://dns-ok.fi/, http://dns-ok.ax/, …

Que faire si vous pensez être concernés?

Les conseils sont ceux que l’on donne habituellement lors de la découverte d’une contamination virale informatique: sauvegardez vos données les plus sensibles, mettez à jour votre logiciel antivirus (après avoir réglé correctement votre configuration DNS) et lancez une procédure décontamination au démarrage si elle est disponible dans votre logiciel et n’oubliez pas de faire le ménage sur tous vos supports amovibles (clés USB) qui sont connus pour avoir été utilisés pour la diffusion de cette catégorie de logiciels malveillants. Vous trouverez d’autres conseils sur le blog Malekal.

Est-ce qu’il s’agissait d’un botnet ?

Oui. Il ne s’agit pas de la structure classique d’un botnet tel qu’on l’imagine habituellement (logiciel malveillant qui reçoit des commandes sur un serveur IRC ou en se connectant sur un serveur Web), mais il y a un bien une infrastructure de commande (les centaines de serveurs DNS de Rove Digital/Esthost), un langage de communication particulier au travers de ces serveurs DNS, et une prise de contrôle assez avancée du comportement de la machine des victimes. Cette organisation malveillante rentre donc bien dans la définition que nous donnons d’un botnet sur le wiki Botnets.fr.

C’est exactement ce que dit Trend Micro dans son article sur ce dossier. J’avais évoqué d’autres modes de commande originaux pour des botnets sur ce blog: des images ou des Google groups.

Les domaines fantômes

La vulnérabilité dite des ghost domains n’a aucun rapport avec l’opération Ghost Click que nous venons d’évoquer, mais elle concerne bien une faille dans les serveurs DNS, même si elle n’a pas d’impact immédiat pour la plupart des lecteurs de ce blog.

Des chercheurs chinois et américains (Jian Jiang, Jinjin Liang, Kang Li, Jun Li, Haixin Duan et Jianping Wu) ont ainsi mis en évidence, dans un article intitulé Ghost Domain Names: Revoked Yet Still Resolvable (voir le PDF), qu’il était possible de maintenir, dans la mémoire cache d’une grosse partie des serveurs DNS répartis sur la planète, la résolution d’un nom de domaine qui n’est normalement plus actif, longtemps après qu’il ait été révoqué.

En théorie, cela permet par exemple de maintenir en activité un système de commande et de contrôle d’un botnet longtemps après qu’il ait été mis hors service.

Principe de la vulnérabilité

Le principe décrit par les auteurs suppose d’interroger l’ensemble des serveurs DNS dans lesquels on cherche à maintenir l’information vivante, avec des requêtes qui provoquent une mise à jour. Pour ce faire:

  • si le nom de domaine que l’on cherche à protéger est fantome.com
  • que le serveur de nom de domaine principal de ce domaine est dns.fantome.com (pointant vers l’adresse IP x.y.z.t
  • on modifie le nom du serveur pour un autre, soit par exemple test.fantome.com (pointant toujours vers x.y.z.t)
  • et on interroge ensuite chacun des serveurs DNS attaqués pour qu’ils identifient test.fantome.com
  • comme ils ne connaissent pas test.fantome.com mais savent déjà résoudre les adresses du domaine fantome.com, ils se connectent sur x.y.z.t et se rendent alors compte qu’il a changé de nom et mettent à jour le serveur de nom de domaine pour fantome.com avec la valeur test.fantome.com et réinitialisent la valeur du TTL (time to live, voir Wikipédia), qui constitue en quelque sorte la date d’expiration de l’information dans le cache local du serveur DNS.

Ainsi, pour tous les serveurs qui sont vulnérables à cette attaque, si on les contacte au moins une fois par jour (ou juste un peu moins qu’un jour, si le TTL est configuré à 86400 secondes) pour provoquer une mise à jour, ils continueront de conserver l’information erronée, sans jamais vérifier auprès des registres de noms de domaine de plus haut niveau (voir Wikipédia).

Quel est le risque réel

Les chercheurs soulignent dans leur article qu’ils ont pu mesurer qu’une grande majorité des serveurs DNS sont concernés aujourd’hui par cette vulnérabilité. Et s’ils n’ont pas identifié une utilisation passée, ils ont pu montrer qu’elle fonctionnerait. L’un des scénarios qu’ils décrivent consisterait à cibler l’attaque contre des serveurs de noms de domaine d’un réseau donné. Des mises à jour sont en cours de déploiement dans différentes versions des serveurs DNS. Selon les spécialistes interrogés (voir l’article du Register), le risque n’est pas très grand étant donné que la vulnérabilité permet uniquement de maintenir en fonctionnement des domaines malicieux après leur disparition et non pas d’injecter des informations erronées sur des domaines légitimes existants (voilà quelques années, Dan Kaminsky mettait en lumière une faille beaucoup plus importante, en voir la synthèse chez Stéphane Bortzmeyer).

Conclusion

Internet fonctionne sur un ensemble de fonctions essentielles dont les serveurs DNS ou le protocole de routage BGP. Bien qu’ils soient relativement simples au départ, la complexité de l’Internet, la nécessité de diffuser et propager l’information rapidement les rend particulièrement vulnérables. Il est donc important de suivre leur sécurité du cœur de l’Internet jusque dans la mémoire de votre ordinateur.

Pour aller plus loin

J’ai déjà parlé du DNS dans plusieurs articles que vous pouvez retrouver ici:

D’autres articles sur les domaines fantômes:

La citadelle du crime

L’évolution du botnet Citadel est suivie depuis plusieurs mois par différents chercheurs. Il montre une tendance intéressante (si l’on peut dire) dans la pratique des groupes criminels numériques: une véritable gestion de la clientèle et l’utilisation des modèles modernes de développement d’applications en source ouverte. Cet exemple montre des développements importants dans le domaine du CaaS – crime as a service, ou le crime vendu comme un service.

Historique

En mai 2011, le code source du malware Zeus est révélé. Dans la foulée, des variantes sont développées dont IceIX et aujourd’hui Citadel.

Panneau de commande du botnet Citadel v.1.2.4 (source: Seculert)

Les services offerts par la citadelle

Une fois la licence de Citadel acquise (le prix public serait de $2.399 plus un abonnement de $125 mensuels), le ‘client’ est invité à rejoindre la communauté en ligne des acheteurs de Citadel: le “Citadel Store” (voir l’article de Brian Krebs). Ils ont ainsi accès :

  • à la possibilité de voter pour de nouvelles fonctionnalités et en discuter le détail ;
  • la progression des développements (dates de sortie des nouveaux modules) ;
  • au signalement des bugs au travers d’un classique système de gestion de tickets ;
  • à une documentation complète pour l’utilisateur, des notes de version et un document de licence (sic !).

Vous pouvez lire sur le Wiki Botnets une traduction en anglais (par @sherb1n) d’un message publicitaire du groupe qui anime Citadel sur un forum destiné à des acheteurs potentiels.

Très clairement, il s’agit de fidéliser la clientèle et donc de développer ses revenus (ils demandent même des avances aux clients qui souhaitent voir un développement particulier arriver plus rapidement), mais aussi de profiter des informations que les clients obtiennent pour améliorer le produit et le rendre plus efficace. Ils vont ainsi beaucoup plus loin que les contacts via ICQ ou Jabber classiquement utilisés par les développeurs de logiciels malveillants (voir l’article de Brian Krebs).

Le groupe qui se cache derrière le Citadel Store se comporte comme n’importe quelle entreprise. Ainsi, ils ont des horaires de bureau (de 10h00 à 00h30 tout de même, donc très geeks) et se reposent le week-end. Au mois de mars 2011, Seculert rapportait déjà (voir leur blog) l’importance des services de type commercial développé par les criminels dans le domaine des plateformes d’exploits (il s’agit de plateformes telles Blackhole ou Incognito qui regroupent en un seul outil intégré un ensemble d’outils permettant de contaminer une grande variété de machines victimes visitant par exemple un site Web).

J’avais déjà eu l’occasion de souligner le développement des groupes criminels comme de véritables entreprises:

Les fonctionnalités offertes par Citadel

Selon Seculert (voir sur leur blog), une nouvelle version de Citadel est publiée chaque semaine, soit un rythme beaucoup plus soutenu que ce qu’on a pu remarquer pour Zeus ou SpyEye.

A ce jour, le botnet Citadel offrirait les fonctionnalités suivantes (voir notamment l’article de Seculert):

  • toutes les fonctionnalités connues de Zeus, mais avec des améliorations comme la collecte d’identifiants de connexion sur le navigateur Chrome de Google ;
  • chiffrement RC4 et AES pour les communications ;
  • contre-mesures pour les plateformes de suivi des serveurs de commande des botnets (tel Zeus Tracker), grâce à l’utilisation de clés qui seules permettent de télécharger des mises à jour ou des fichiers de configuration ;
  • blocage de l’accès par les machines infectées aux serveurs de mise à jour des anti-virus ;
  • enregistrement de vidéos (au format MKV) de l’activité de l’utilisateur visitant un site Web particulier ou utilisant une application (il s’agit d’une option du botnet) ;
  • la mise à jour via le protocole Jabber de l’ensemble des bots pour éviter la détection par les antivirus (cette option serait facturée $395 et chaque mise à jour $15) ;
  • plus classique, il est possible d’empêcher le bot de fonctionner sur les machines dont le clavier est configuré pour le russe ou l’ukrainien.

Interface de création du bot - logiciel malveillant (Source: Brian Krebs)

Pour prolonger…

Cet article est l’occasion d’attirer l’attention sur un projet lancé voici quelques semaines: https://www.botnets.fr/ un Wiki sur les botnets que j’anime dans le cadre de la thèse que j’ai commencée sur le sujet de la lutte contre les botnets. Si vous voulez participer à ce Wiki n’hésitez pas à nous rejoindre sur IRC chat.freenode.net .fr et à vous inscrire sur le Wiki.

Safer Internet Day 2012

Le Safer Internet Day, ou Jour pour un Internet plus sûr, est organisé par INSAFE au mois de Février chaque année, pour promouvoir un usage plus sûr et plus responsable d’Internet et du téléphone mobile, notamment par les publics les plus jeunes. Il a lieu cette année le 7 février. En France, les activités du SID sont placées sous l’égide de la délégation aux usages de l’Internet.

Différentes activités seront organisées à travers la France et l’Europe. Vous trouverez plus d’information sur le détail de ces actions sur le site de l’opération en France. Vous aussi vous pouvez y participer, n’hésitez pas à vous inscrire.

A cette occasion, une vidéo de sensibilisation a été réalisée par la commission européenne:

[youtube=http://youtube.com/watch?v=bIQl_WaXbNM&w=560&h=315]

Dans le cadre du Safer Internet Day 2012, le point de contact de l’AFA lance un questionnaire à destination des jeunes de 13 ans et plus, qui sera accessible tout le mois de février, portant sur leur manière d’appréhender les contenus choquants sur Internet. Les résultats de cette enquête seront publiés en mars 2012, en clôture du Safer Internet Day.